Extraits d'Arène Noire
Arène Noire, Editions Choucoune, Mai 1982, 64 pages
S.O.S
Ici Radar numéro de code trente-quatre
Un homme – une femme – un enfant trépassent
A toutes les unités
Ici radar S.O.S
Venez avec une ambulance, l'enfant est mort
Recouvrons son pauvre corps
D'un linceul de laine blanche
Il est mort affamé, parfumons son corps
De la senteur brûlée du pain chaud
Ici radar S.O.S numéro de code trente-quatre
Un homme – une femme
Deux progénitures des coulisses obscures de l'oubli
Deux êtres marqués aux fers par la faim
Ici radar S.O.S, à toutes les unités
Ces gens meurent des intrigues des sangsues
Evacuez la ville de ces genres de bêtes
Elles infectent l'air
Ici radar, numéro de code trente-quatre
L'homme et la femme viennent de rendre l'âme
Terminé.
Mario Malivert
(Arène Noire, Editions Choucoune, 1982)
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La Chanson de la Faim
Les tiraillements du bas-ventre vous coupent en deux,
Vous plient les genoux.
Vous sentez le plongeon de vos tripes dans votre panse,
Et s'échappe un gaz, le gaz de la faim,
Qui s'échappe en chantant de votre ventre
la chanson de la faim.
J'ai faim, j'ai un goût de savon de lessive
sur ma langue,
Une envie d'ouvrir tout grande la bouche pour happer l'air.
Un baillement détiré, un dégoût vous fait retrousser
votre lèvre supérieure,
Vous garnit le bec d'un rictus amer.
On a faim, un rire jaune sur les lèvres;
On rit de sa faim, des tiraillements du bas-ventre.
On a faim, l'œil hagard tourne à droite, à gauche;
Un regard mirobolant fixant chaque chose comme pour constater
si ce n'est pas du pain en métamorphose.
On marche, on traine, les membres pendants
comme les mamelles d'une chienne traquée.
On se promène ça et là en regardant manger
un homme, une femme, un enfant.
On grogne, on va à l'entour des boulangeries
pour humer l'odeur brulée du pain.
O ce filet de bave qui s'écoule du coin de vos lèvres!
O faim! O misères! On est plié en deux
comme un palmier flétri,
Comme un vieillard de cent ans, comme un U à l'envers.
On regarde sa main blanche où des veines
jouent à la marelle.
On marche ça et là, on tournoit
comme une hélice rouillée.
On traine; la route s'allonge sous vos pas; des arbres
majestueux se rapetissent.
Des pétales pourprées se teintent de violet.
On a faim, on voit à l'envers,
On traine, on repose sa carcasse sur un banc
d'une place publique.
Un, deux, trois petits pas, on s'essouffle.
Des sueurs froides se faufilent sur votre visage
blanc et terne, comme la lune dans l'azur blafard de l'aurore.
On a faim!
La faim qui vous pousse à voler, qui vous baptise de Juda.
La faim qui vous abaisse en petit chien civilisé.
La faim qui vous cloue le bec.
La faim qui vous empèche de crier: Non!
On a faim, on s'asseoit sur une chaise,
On regarde sa femme, ses enfants, on regarde le monde.
On renverse ses yeux en arrière pour se regarder.
On a faim! L'eau de la marmite sur le feu chante
l'hymne national des affamés.
Glott, glott pour le pain et pour le vin,
mangeons le jour, mangeons la nuit!
Pour le pain et pour le vin,
formons des boulangers, formons des vignerons.
Glott, glott.
L'eau chante en vain; sa voix fragile trépasse.
Un enfant pleure; les seins de la mère ne donnent plus de lait.
Ecoutez les cris stridents de l'enfant,
L'hymne de la faim sur les lèvres humides de l'eau.
L'homme regarde la femme;
ils rient, ils grincent leurs dents,
Ils happent l'air, ils appellent Dieu, ils disent
amen!
Leur rire jaune comme une grimace abrutit leur visage.
Ils ont faim!
Ecoutez le plongeon de leurs tripes dans leurs panses.
Et s'échappe un gaz, le gaz de la faim,
Qui s'échappe en chantant de leurs ventres
La chanson de la faim!
Mario Malivert
(Arène Noire, Editions Choucoune, 1982)
